LE CRÉPUSCULE DES SOTS ? (Version longue)
D'après mon article paru dans Le Figaro de ce jour (13/09/10)
Il y avait longtemps que le débat récurrent autour de l’immigration n’avait sécrété un tel comportement névrotique de la part du monde médiatique et politique.
Avant le commentaire, travelling sur cet été de tous les fantasmes :
La ville de Grenoble a connu des troubles très graves consécutifs à la mort d’un braqueur récidiviste d’origine maghrébine, tué par des policiers dans l’exercice de leurs fonctions.
Des émeutes s’en sont suivies au cours desquelles, il a été tiré à balles réelles sur les fonctionnaires.
A la suite de quoi, les policiers grenoblois impliqués ont fait l’objet de menaces de mort nominative et ont été contraints de quitter la ville.
C’est dans ces conditions assez particulières, que le Président de la République annonçait des mesures pour lutter contre une insécurité qu’il n’hésitait pas à lier aux conséquences de l’échec de l’intégration de nombre d’immigrés.
Il envisageait notamment de revenir à une loi, amendée en 1998, qui permettait, sous certaines conditions, de déchoir certains délinquants naturalisés de la citoyenneté française. Il évoquait également les problèmes posés par certains « gens du voyage ».
Alors que l’opposition pouvait parfaitement s’interroger sur l’opportunisme politicien d’un Nicolas Sarkozy dans le creux de la vague face à un Parti Socialiste et un Front National revigorés, la gauche, notamment par les voix de Michel Rocard et d’Arnaud Montebourg, nullement désavoués depuis, brandissait à nouveau le spectre de Vichy et les brandons du nazisme…
Mais il était nullement question qu’une partie de la droite ne participe à ce nouvel happening révisionniste par la banalisation de la Grande Catastrophe. Alors que la police parisienne expulsait le 15 aout un campement illégal de Roms et que les fonctionnaires notifiaient aux seuls hommes un rappel à la loi, le député villepiniste Jean-Pierre Grand s’éleva contre une « sélection » de triste mémoire, qui rappelait, selon ce dernier « les rafles pendant la guerre ».
Le Monde, ne pouvant plus demeurer passivement complice, dans un éditorial du 18 août, titrait sans rire « Amour de soi, Haine de l’autre » et reprochait au Président de permettre un « appel d’air » au racisme, notamment contre les musulmans.
Le même journal de publier dans la foulée la lettre ouverte d’un professeur lyonnais racontant les affres de sa famille juive pendant l’occupation et comment l’Etat français avait déchu de leur nationalité les meilleurs de ses enfants.
Dans de nombreux reportages, on présenta comme autant d’ « expulsions », le retour volontaire et contre argent de Roms en Roumanie, la plupart précisant qu’ils retourneraient en France, comme la loi européenne les y autorise désormais.
Le 26 août, France 2 diffusait un reportage sur des gitans camarguais, solidaires des Roms, venus dire, devant un mémorial rappelant leur déportation par les nazis, que l’insupportable passé était de retour. Pour faire bonne mesure, la chaine publique diffusait en prime des images shoatiques montrant des enfants tziganes dans les camps de la mort.
Peu après, un prêtre inspiré implora le ciel et la télévision pour que le souverain français sans cœur succombe, ainsi qu’aux temps ardents de la Sainte Ligue. Silence dans les rangs des gardiens de l’ordre moral.
Un autre ecclésiastique, se tenant pour Mgr Saliege sous l’occupation, lut courageusement l’homélie que le Juste avait prononcée en faveur de ceux promis à la déportation.
Quant à Alain Minc, venu défendre le chef de l’Etat contre les menées du Saint-Siège, il ne trouva pas d’arguments plus pertinents que de reprocher à son chef ses origines allemandes…
Peux-je dire, calmement, que je ne puis me résoudre, à nouveau, à un tel comportement irresponsable et indécent ?
Je ne peux m’y résoudre, en tant que Juif, car sans avoir pratiqué publiquement avec ferveur le culte de la Shoah, je n’admets pas qu’on galvaude ainsi la vérité historique. Je le peux d’autant moins, que les mêmes qui aujourd’hui ressuscitent Hitler et Himmler sont restés bien placides l’an passé quand des foules bigarrées défilaient dans Paris aux cris de «Mort à Israël ! » quand ce n’était pas « Mort aux juifs ! »
Je ne m’y résous pas non plus, en tant que Français, car je n’accepte pas que l’on compare mon pays et son peuple, qui ont su se faire si accueillants, à l’Etat du Mal absolu.
A qui va-t-on faire croire, s’agissant du projet de déchéance de la nationalité, que jusqu’en 1998, la France était un pays totalitaire et raciste qui foulait au pied la Constitution ?
A qui va t’on faire croire que ceux des Français qui n’ont pas une conception extatique de l’immigration, qui ne considèrent pas forcément qu’elle est « une chance pour la France » en matière de sécurité et que le métissage obligatoire est l’avenir de l’humanité, sont de redoutables xénophobes ?
A quel jobard peut-on faire gober que des gens du voyage ne peuvent poser problème et que les responsables européens se sont montrés avisés lorsqu’ils ont négocié avec la Roumanie son entrée dans la communauté sans que ne soit améliorée chez elle la condition des Roms ?
Et si tout simplement, dans un débat contemporain et rationnel, libre et éclairé, la seule question politique digne d’être posée – sereinement – et non le couteau antiraciste sous la gorge – n’aurait-elle pas du être celle d’un éventuel anachronisme ?
On pouvait parfaitement, sans être accusé de haute trahison ou de folie suicidaire, soutenir qu’à présent, la conception traditionnelle, étroite à tous égards, d’un Etat-nation ethnoculturel, remparé dans des frontières illusoires, est doublement et inexorablement dépassée. En raison du nouvel espace politique européen créé au lendemain d’une horrible guerre fratricide, comme en raison de l’irrésistible mondialisation accélérée des échanges humains et culturels. Cette thèse est défendable.
Mais on pouvait également plaider, sans être disqualifié pour cause de racisme et de xénophobie, que la richesse humaine est faite de la diversité identitaire de ses peuples et de ses cultures. Que ceux-ci sont enracinés naturellement par leur histoire commune dans une même géographie, que l’Europe politique demeure une construction artificielle et désincarnée, qu’enfin la principale leçon du dernier cataclysme historique, est qu’un Etat-nation reste le meilleur rempart démocratique contre la barbarie du fanatisme ou de l’expansionnisme jamais vaincus.
Cette thèse n’a toujours rien d’obsolète et mérite également le respect.
Mais ce débat existentiel si légitime, si impérieusement indispensable, est demeuré strictement interdit, et les thèses en présence délibérément dénaturées.
Les partisans d’un nouveau modèle étatique post- national n’ont pas osé aller, pour la plupart, jusqu’au bout de leur logique, conscients de ce que la majorité des citoyens continuent de tenir charnellement au modèle historique traditionnel qu’ils nomment, simplement, leur pays.
L’ouverture de fait des frontières à la libre circulation des hommes signifie, à terme, leur inévitable obsolescence.
Prétendre qu’il faudrait continuer, dans le cadre de la souveraineté légale nationale, à réguler les flux migratoires tout en privant l’autorité de poursuite de toute légitimité républicaine en considérant toute mesure de contrainte nécessaire comme ignoblement inhumaine conduit à une hypocrite et schizophrénique impasse.
De leur coté, les partisans de l’Etat-nation ont vu leurs positions d’autant plus systématiquement caricaturées que les termes du débat n’étaient pas franchement posés.
Instinctivement, ils ont vu dans le non-respect de la loi sur les flux migratoires un danger irréversible pour le modèle traditionnel basé non seulement sur un pacte tacite de vivre ensemble dans le respect de la légalité républicaine, mais encore sur une base démographique tempérée par une immigration régulée permettant une intégration progressive.
Au fur et à mesure de l’irrésistible transgression des lois successives en matière d’immigration auquel s’est ajoutée la décision historique sur le regroupement familial des étrangers, une grande majorité de Français a confusément considéré en péril son modèle patriotique traditionnel.
Cette angoisse, de nature existentielle, a été, de surcroît, avivée par l’aggravation des problèmes de sécurité liée à cette augmentation de cette immigration mal maitrisée.
A cette appréhension citoyenne naturelle, il faut redire ici que le système xénophile – qui gouverne souverainement les esprits formateurs et occupe donc le discours dominant – a répondu injurieusement par l’interdiction du libre débat qui s’imposait, ainsi que par un double déni.
Il convient en effet tout d’abord d’observer que cette réflexion nécessaire sur la libre ouverture des frontières nationales à la circulation sans contrainte des hommes, au prix de bouleverser l’équilibre démographique, n’a jamais été autorisée :
L’idéologie dominante a, d’abord, à un moment T, opposé à l’inquiétude populaire un haussement d’épaules agrémenté d’une fin de non-recevoir en expliquant qu’une telle peur relevait en fait d’un pur fantasme d’extrême droite dénué de tout fondement factuel. Le débat était donc aussi inutile que nocif et artificiel. Trop tôt.
Puis, à un moment T + 1, quand les bouleversements démographiques n’ont plus pu être niés, l’idéologie a décrété le débat comme forclos, puisque la France était devenue « une nation multiculturelle » Trop tard.
A quel moment précis, la France est-elle devenue, sans débat ni combat, cette nation postmoderne ? nul ne le saura évidemment jamais.
Le même refus de débat intellectuel et politique autour du problème de sécurité publique peut être constaté.
Ce qui est normal, puisque les deux questions sont liées.
A un moment T, la suggestion de la hausse de l’insécurité a été réduite à une pure question de « perception » : le sens commun populaire était trompé par l’exploitation cynique par l’extrême droite de la peur de l’étranger, expliquait doctement l’intelligentsia xénophile. L’insécurité était donc un fantasme de beauf lourdaud.
Au moment T+1 ou même l’idéologie la plus prégnante n’a plus été en mesure de nier la dure réalité, celle-ci s’est contentée de contester avec véhémence le lien entre les progrès enfin reconnus de la délinquance et l’immigration mal maitrisée donc mal intégrée.
Il semblerait aujourd’hui que l’idéologie, toujours plus modeste dans ses dénégations, se réduise à condamner la vanité d’une répression « sécuritaire » sans prévention pour endiguer le phénomène et sa cause ,enfin admise implicitement mais toujours interdite d’expression publique.
Encore faut-il préciser que pour interdire ce débat, pour retarder le constat inéluctable, l’idéologie dominante que j’ai appelé xénophile- et qui est du même métal que la xénophobie – a eu recours à son arme traditionnelle et favorite du terrorisme intellectuel. Qu’un penseur déviant ou un citoyen récalcitrant ne récite pas le catéchisme convenu et il déclenche immédiatement les mêmes concerts polyphoniques d’hilarité moqueuse, d’indignation outragée et de condamnations à la relégation qui ont réussi à retarder la découverte du goulag. Peu importe, évidemment, que les suspects n’aient pas assorti leurs réserves de la moindre remarque désobligeante envers les immigrés étrangers.
Que le pouvoir politique en place tente de maitriser légalement le phénomène migratoire, qu’il demande aux autorités compétentes d’en exécuter les termes, et immédiatement, l’idéologie xénophile, assurée du soutien d’artillerie médiatique nécessaire, pilonnera l’opinion publique jusqu’à, sinon la mystifier – la tache est impossible au regard du décalage entre le discours moralisateur et le réel – au moins la faire douter, l’intimider, lui imposer une conduite morale, un surmoi tétanisant, une abstention dans la manifestation verbale.
Quel unique ressort psychologique requis était hier encore assez puissant pour obtenir un tel résultat ?
Certainement pas seulement l’appel aux principes humanitaires, au devoir d’hospitalité, à la condamnation de l’égoïsme national qui peuvent, certes, être plaidés, mais sont aujourd’hui insuffisants au regard des excès précisément causés, non par les étrangers, mais par les effets pervers de la culture de l’excuse et de l’auto détestation.
Mais avant tout, le contexte culturel imaginaire basé sur les fantasmes d’un passé qui ne passe pas.
Qui a oublié le cortège d’artistes venus soutenir l’occupation par les sans-papiers d’une église parisienne et la comparaison de leur sort avec celui des déportés d’Auschwitz ?
Qui ne se souvient de cette manifestation d’histrions « aux noms imprononçables » venus célébrer le combat des immigrés clandestins en se rendant Gare de l’Est, une valise en carton à la main, histoire de bien signifier la continuité dramatique entre les situations, histoire aussi de faire comprendre que, cette fois, la courageuse résistance empêchera la réitération de leurs forfaits par les mêmes forces obscures.
Mais il semble bien qu’aujourd’hui, sous les coups de boutoir de la dure réalité, l’idéologie outrancière ait perdue une grande part de sa capacité d’intimidation et de mystification.
Pour peu que des responsables politiques, des intellectuels, sachent faire front en imposant enfin le libre débat sur l’immigration, interdit depuis vingt ans, sans céder aux facilités et à la démagogie, et quitte à en appeler au scrutin populaire, alors , peut-être, la France se délivrera-t-elle à temps des sortilèges maléfiques du passé.
Gilles- William GOLDNADEL. Président d’Avocats Sans Frontières.
dernière parution : « Conversations sur les sujets qui fâchent » (avec Alexandre Adler) ed. Jean-Claude Gawsewitch.
A paraître chez le même éditeur : « Réflexions sur la question blanche ».