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La semaine Goldnadel
Publié le 10 octobre 2011
Que le sujet porte sur les caméras de vidéo surveillance, l'immigration, l'insécurité ou le conflit israélo-palestinien, les partis-pris qui empêchent toute réflexion imprègnent toujours autant les médias français, du côté de l'information comme du côté des commentaires.
Mardi, Babu, un usager du métro, d’origine indienne, meurt écrasé par une rame alors qu’une rixe l’opposait à Mohamed, un égyptien sans-papier qui importunait des jeunes femmes. C’est le réseau vidéo-surveillance de la RATP qui a permis d’identifier ce dernier. Quelques jours plus tard, le visionnage de l’incident laisserait à penser que ce n’est pas le malheureux Mohamed, – qui se contentait d’offrir des fleurs aux jeunes personnes – qui aurait porté les premiers coups, et que celui-ci n’aurait repoussé son adversaire que pour se défendre.
Conclusions : il y a encore quelques années, les organisations d’extrême gauche censées défendre notre liberté n’avaient plus de mots pour s’opposer à l’installation de caméras dans les lieux publics. C’est pourtant bien, ce système abhorré qui a permis d’appréhender Mohamed, et qui va sans doute lui permettre de prouver qu’il n’est pas le criminel qu’une information toujours pressée, laissait à penser. Quand donc, au nom du droit des hommes, nous débarrassera-t-on des droits-de-l’hommistes qui l’assassinent ?
Jeudi, un courageux contrôleur de la SNCF était grièvement poignardé dans le Lyon-Strasbourg. Aussitôt, les agents du chemin de fer d’État se mettaient en grève, laissant sur le quai des centaines de milliers d’usagers, qui pourtant, eux aussi, sont parfois agressés, sans que nul ne songe à paralyser pour autant le réseau ferroviaire. Il se déduit de ce pur constat factuel, qu’il existe deux catégories de victimes.
La gauche, qui a longtemps considéré l’insécurité comme un fantasme, est demeurée assez timide quant au recours à un mouvement syndical pénalisant des innocents. Sur le fond, la différence de traitement entre fonctionnaires et usagers n’est pas nouvelle et n’a, jusqu’à présent, soulevé aucun scandale médiatique particulier.
L’un des exemples les plus révoltants de cette apathie est celui du terrible accident ferroviaire de la Gare de Lyon qui s’est produit le 27 juin 1988, et qui a fait 56 morts et 57 blessés, tous pratiquement oubliés aujourd’hui. Le conducteur du train, dont la responsabilité est acquise, fut mis à pied administrativement. Protestations syndicales. Lors du procès, qui eut lieu fin 1992, le conducteur fut condamné à quatre ans de prison dont six mois fermes. Le lendemain du verdict, la majorité des conducteurs SNCF se mirent en grève pendant 24 heures, ce qui provoqua la consternation des familles des victimes. En appel, la peine fut réduite à un sursis. Nouveau mouvement syndical. Il se trouva un patron de nos chemins de fer pour dire « comprendre l’émotion des syndicats ». Aucune réaction de la presse.
Deux catégories de citoyens. A qui la faute ?
En quoi l’enquête de Gilles Kepel, présentée par le perspicace Luc Bronner dans le Monde de mercredi sur la « réislamisation culturelle des banlieues » est-elle « dérangeante », pour reprendre l’expression du quotidien ?
Les musulmans n’ont-ils pas le droit de pratiquer leur culte avec intensité s’ils le désirent ? Les jeunes acculturés seraient-ils plus appréciables ? Quant à l’endogamie pointée dans le reportage, la communauté juive française la pratique encore allègrement sans qu’elle soit considérée comme un obstacle à l’intégration. Et si sans le dire, et peut-être même sans le penser, cette réislamisation massive et longtemps niée « dérangeait » par ce que l’identité constitutive et historique de la France était judéo-chrétienne ?
Le lendemain de l’article, je participais à l’excellent débat d’actualité de Valérie Expert sur LCI. Après avoir contesté la responsabilité de la société française, bouc émissaire traditionnel, pointée par Képel, je rappelais un article autrement dérangeant, toujours de Luc Bronner dans le Monde du 14 septembre 2010, dans lequel le sociologue de gauche, Hugues Lagrange, dans la foulée de mon regretté Christian Jelen, osait faire un lien entre immigration africaine et illégalité. Que n’avais-je dit ! Avec un brin de suffisance, le politologue Roland Cayrol décréta définitivement que jamais Lagrange n’avait prononcé une telle sentence. Retour aux verbatim de l’article sacrilège :
« Alors que les sociologues et la gauche privilégient traditionnellement l’explication sociale, le chercheur met en avant un facteur « culturel » pour expliquer son constat d’une surreprésentation des jeunes issus d’Afrique noire dans les affaires de délinquance. »
Tant que les politologues ne voudront pas lire, les Français, immigrés compris, continuerons de subir.
Dimanche, polémique sur l’émission de France 2, « l’œil sur la planète », contestée, pas seulement comme l’indique le Monde, « par la communauté juive », mais par de nombreux téléspectateurs pour son parti pris taxé d’outrancièrement pro-palestinien. Faisons ici, pour les besoins de l’analyse, l’économie du débat de fond, les pro-israéliens considérant l’émission comme truffée de mensonges, les pro-palestiniens assurant du contraire.
Constatons seulement que l’émission incriminée n’accorde que 5% du temps de parole aux partisans de l’Etat juif et qu’elle a été réalisée par une équipe d’acier composée notamment d’Etienne Leenhart, qui durant l’opération « plomb durci » trouvera le moyen de faire présenter des images datant de 2002 n’incriminant pas Israël, pour mettre sur son dos des exactions de 2009. Quant à Charles Enderlin, qu’on ne présente plus, jamais je ne pourrais être aussi sévère que la cour d’appel de Paris pour écrire que son reportage sur la mort du jeune Mohamed Al Dura imputée sans preuves à Israël aura été exclusif de tout sérieux et sincérité.
La seule question que je voudrais poser ici est de savoir s’il est permis de critiquer une télévision de service public, telle que France 2 ? A lire le dernier blog de Charles Enderlin, assurément non, puisque celui-ci considère comme autant d’actes de « censure », les protestations émises contre l’émission. Si l’on veut comprendre, et les partisans d’Israël devraient en faire l’effort, la manière dont cette information est traitée aujourd’hui en France, il convient d’élargir le spectre observé.
Tout d’abord, ne jamais perdre de vue que les fabricants d’informations et de commentaires présentent à peu près le même profil sociologique que les enseignants de ce pays. Faut-il ensuite s’étonner du matraquage idéologique qui en résulte depuis 40 ans ? Ensuite, leur manière de décrire la prétendue réalité ne s’arrête certainement pas au conflit israélo-palestinien.
Rien que deux exemples récents : France 2, neuf août, 20 h. Les émeutes de Londres. Trois Anglais anonymes interviewés sur trois justifient les émeutiers. Chaque jour, Loïc de la Mornay s’étonne de la réponse « sécuritaire » émanant tant des conservateurs que des travaillistes sans explication de « sociologues », contrairement à ce qui se serait fait en France. Le même, au début des émeutes, avait pourtant expliqué qu’à Londres, prévalait la mixité sociale et que l’on n’y connaissait pas les barres d’immeubles. Du coup, reportage sociologique le vendredi 12 à 13h sur le lien indiscutable entre misère et émeutes.
Toujours France 2 : présentation des manifestations anti-pape en Espagne. Empathie avec les manifestants. Le 18 août, 13h : on interroge deux jeunes manifestants qui expliquent, au demeurant faussement, la gabegie qu’entrainerait pour l’Espagne le voyage du Saint-Père. On interroge ensuite deux jeunes catholiques charitables : le premier comprend les manifestants mais veut partir déjeuner, le second comprend également les manifestants. Il faudra attendre le succès indéniable du voyage de Benoît le seizième pour que France 2 cesse enfin de montrer une compréhension particulière pour des manifestants parfois violents. Rien de plus puissant qu’une idéologie sommaire.