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Publié le 09/04/2014
François Hollande, Philippe Bilger et Christiane Taubira: le blognadel
Gilles-William Goldnadel est avocat et écrivain. Il est secrétaire national à l'UMP chargé des médias. Il préside l'Association France-Israël. Il est le président-fondateur d'Avocats sans frontières. Toutes les semaines, il décrypte l'actualité pour FigaroVox.
Est-il permis d'être encore candide, en des temps où les cyniques passent pour intelligents?
Parmi les qualités qu'on donnait encore sans barguigner à notre président si contesté, demeurait l'habileté. C'est ainsi que l'on interprète la nomination à Matignon du socialiste le plus droitier qui aura accepté d'être entouré par ses camarades les plus gauchers.
L'auteur de ces lignes, certes peu rompu aux calculs d'appareils, ne trouve pas l'exercice bien adroit. Le choix du premier ministre a réussi à mécontenter la gauche. Celui de ses collègues a courroucé le centre jusqu'à la droite. Bref, que des mécontents.
Surtout, est-il encore temps d'être habile lorsque votre maison brûle et que l'on vous estime à peine habilité à quérir les pompiers?
La vraie habileté n'est pas de souffler sur les braises des produits de synthèse.
Elle est d'y renoncer, pour décider enfin d'une ligne. Aux résultats des élections, elle ne pouvait qu'être plus droite.
Cette semaine, le journaliste du Monde chargé de la justice, considérait dans son blog du 3 avril, que Le Figaro et Valeurs Actuelles ne pouvaient pas traiter sérieusement de ces questions dont il est spécialiste, dont, sans doute, il estime son journal seul compétent, moralement et intellectuellement, pour en parler.
Ces considérations, dont la modestie ne frappe pas de prime abord, étaient contenues dans une rapide relation de l'opus de Philippe BilgerContre la justice laxiste (L'Archipel) qui tient plus de l'exécution que de la recension.
Le titre: «notre ami Philippe Bilger se collardise» équivalant, dans l'esprit de son inventeur, à une sentence de mort sinon civile, au moins éditoriale.
Dès lors, il peut paraître assez vain de vouloir argumenter sur les arguments de Frank Johannes, puisque c'est de lui qu'il s'agit, qui mériteraient davantage de considération s'ils n'étaient agrémentés d'observations méprisantes sur toutes les personnes physiques et morales (comme l'Institut Pour la Justice que j'ai l'honneur de défendre) qui n'ont pas l'heur de partager des conceptions judiciaires que ne renierait pas le Syndicat de la Magistrature.
J'observe, en passant, que son journal n'aura pas stigmatisé le Mur des cons et que lui-même aura, au contraire, consacré l'un de ses blog estivaux à estimer que la condamnation de ce mur relevait de la seule manœuvre politique en me faisant même l'honneur de penser que c'était moi, avocat du journaliste qui l'avait révélé, qui était caché derrière!
Soyons juste, cette posture n'était pas très différente de celle du syndicat CGT des journalistes qui avait même confraternellement réclamé la tête de leur collègue briseur de mur…
Ceci posé pour l'ambiance, examinons à présent le contenu de la critique du «mauvais livre» de Bilger, au regard de son argument principal censé incarner l'intelligence généreuse.
Contrairement, en effet, à ce que prétendrait l'ancien avocat général pour vitupérer «la justice laxiste», les prisons n'auraient jamais été aussi pleines qu'aujourd'hui et les peines infligées aussi longues:
A la vérité, les geôles ne sont pleines que parce que, contrairement aux autres principaux pays européens, la France se refuse à en construire de nouvelles, en proportion de sa population pénale.
Cesser de prononcer des peines d'incarcération au motif de cette argumentation relève donc du sophisme.
Étrangement, la famille de pensée qui propage cet argument-massue, pousse des hauts cris lorsque, dans un autre domaine, on lui fait observer que le parc immobilier français est dans l'impossibilité de loger davantage d'immigrés dans des conditions décentes. Dans cette circonstance, plutôt que de préconiser une pause migratoire, elle trouve le réflexe d'exiger immédiatement davantage de constructions…
Quant à la longueur prétendument accrue des peines prononcées par une justice soit disant plus répressive, l'exemple du vol montre à quel point cette appréciation tourne le dos dédaigneusement à la réalité.
Ainsi, en 1971, 9.000 détenus étaient en prison pour vol simple. 40 ans plus tard, les vols simples ont été multipliés par trois. Si la justice était aujourd'hui deux fois plus sévère, il devrait y avoir 54.000 détenus pour vol simple. En réalité, il y en a aujourd'hui 3.000… Sur ce point, la justice française n'est pas deux fois plus sévère: elle est neuf fois moins sévère qu'en 1971!
Mais peut-être la prétendue fermeté accrue de la justice n'a-t-elle concerné que les atteintes aux personnes ?
Encore faux. Le nombre de détenus a certes doublé depuis 1971, mais le nombre de violences (hors homicides) enregistrées par la police et la gendarmerie a augmenté de façon bien plus importante encore. Le nombre de viols est passé en 40 ans de 1.500 à 10.000, soit une augmentation de 600%. Les coups et blessures volontaires ont augmenté de 650%, passant de 25.000 à plus de 190.000. Et je ne parle pas ici de la criminalité organisée liée au trafic de drogue, à l'évidence plus prospère aujourd'hui qu'hier.
Mais en réalité, la crudité de ces chiffres est un argument rationnel, impuissant à contredire le contempteur de Philippe Bilger et de tous ceux qui partagent sa conviction que cette sollicitude particulière plutôt accordée à la délinquance qu'à ses victimes vaut encouragement.
Peu importe que cette conviction est aujourd'hui partagée par la plus grande partie de la population française, qui sait dans sa chair, dans son épiderme, dans son appréhension, les progrès d'une délinquance insuffisamment jugulée. Ou au contraire, il l'importe, car partager la douleur ou la crainte populaire relèverait, pour ceux qui se figurent encore incarner l'élite, du populisme le plus méprisable.
Dès lors, et quand le réel ruine l'argumentaire, reste le bon vieux mépris irrationnel. La réductio ad Collardus, par glissement, pour Bilger, puisque la réductio ad Hitlerum est réservée à Collard ou Ménard.
Rien ne change. Même la cruelle réalité ne dérange. Depuis trente ans, on a asséné doctement aux français d'aimables fadaises comme: «l'insécurité est un fantasme de beaufs», «l'immigration est une chance pour la France», «printemps arabe: l'islamisme va se dissoudre dans la démocratie». Aujourd'hui on taubirase gratis. Défense de rire, sous peine de collardisation immédiate.
J'ai croisé hier Philippe Bilger, la mine rose et le teint frais. Qui pourrait dire gentiment aux gens du Monde, que l'on peut désormais survivre et même bien s'endormir sur un méchant article ?
Lu l'excellent article de Mohamed Aissaoui dans le Figaro du 4 avril, consacré à la forte opposition à la candidature d'Alain Finkielkraut à l'Académie française. Ses prises de position politiques poseraient, paraît-il, problème. Un immortel se serait même exclamé: «le Front National ne doit pas entrer sous la Coupole!».
Le Monde est un journal académique.
PS: S'agissant de l'étonnante reconduction par le nouveau premier ministre de la garde des Sceaux, je ne saurais trop recommander l'excellente «lettre ouverte à Christiane Taubira» (First) adressée à cette dernière par mon ami Georges Fenech.