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Publié le 13/05/2014
Le plaidoyer de Goldnadel:
Pourquoi l'esclavage n'était pas l'apanage de l'occident
FIGAROVOX-CHRONIQUE - Le polémiste revient sur les différentes controverses autour de l'esclavage. Il rappelle que l'histoire complexe tragique de la traite des êtres humains n'a pas epargné les européens.
Gilles-William Goldnadel est avocat et écrivain. Il est secrétaire national à l'UMP chargé des médias. Il préside par ailleurs l'Association France-Israël. Toutes les semaines, il décrypte l'actualité pour FigaroVox.
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Je n'aurais certainement pas rédigé le «twitte» de Thierry Mariani dans les termes utilisés par l'ancien ministre des transports. D'ailleurs, je ne «twitte» pas. Je n'aurais pas non plus évoqué le thème fondamental de la déculpabilisation occidentale à la défaveur d'un drame en train de se dérouler en terre africaine.
Ayant posé cela fermement, personne ne m'empêchera de m'interroger sur le fond d'une question esclavagiste posée trop lapidairement par le lapidé et sur les causes profondes de sa lapidation.
Qui a dit: «Donnez-moi dix lignes et je vous ferai pendre ?» Il en a suffi d'une seule pour que Dominique Sopo expédie (Le Monde du 9 mai «le bréviaire de la haine») M. Mariani «esclave de sa haine» dans les limbes de l'enfer.
À ce vilain jeu de l'excommunication, pour lequel je ne pourrais évidemment jamais lutter avec un ancien président de SOS-Racisme, il y aurait pourtant beaucoup à écrire.
À en croire en effet M. Sopo, refuser l'auto-culpabilisation occidentale au motif que l'Occident n'aurait pas eu le monopole de l'esclavage serait une démonstration de mépris «à l'endroit des immigrés d'origine maghrébine, africaine et subsaharienne».
Tiens donc. À cette aune, et si par hypothèse absurde, il fallait peser systématiquement le mépris des hommes au trébuchet de leurs écrits d'un jour, le mépris de M. Sopo pour les populations visées serait, on va le voir, assez lourd.
Mais si on veut bien revenir à une réflexion plus pondérée, on pourrait poser comme postulat que l'incontestable et unilatérale culpabilisation de l'Occident dans la question esclavagiste provient de ce que seul le légitime devoir de mémoire à l'égard de la traite transatlantique est respecté, tandis que la mémoire de la traite arabique des chrétiens européens et des Noirs africains est systématiquement et délibérément occultée.
C'est bien dans ce trou de mémoire, qui n'est pas oubli mais déni, qui fait de l'occidental l'unique esclavagiste, que se niche la culpabilisation avidement recherchée.
Et l'on peut effectivement parler d'auto-culpabilisation lorsque l'on constate que la mémoire chrétienne et occidentale moderne a été littéralement effacée.(1).
Mémoire gommée d'abord, et de stupéfiante manière, de l'esclavage des blancs, essentiellement chrétiens, réduits à la servitude par les Arabes à partir du XVIe siècle et jusqu'au XIXe.
La question centrale pour la présente réflexion étant de tenter de comprendre pourquoi les occidentaux ont oublié ce dont les Noirs se souviennent si bien.
Le spécialiste incontesté de la période, Robert C. Davis («Christians slaves, Muslim masters» Palgrave Macmillan editor 2003) observe que si les historiens ont étudié minutieusement l'esclavage des Noirs africains par les blancs, ils ont ignoré superbement l'esclavage des blancs par les Arabes nord-africains.
Le professeur Davis, qui enseigne l'histoire sociale à l'université d'Etat de l'Ohio, rappelle que la côte barbaresque qui s'étend du Maroc à la Lybie fut le lieu d'une industrie prospère de rapt d'êtres humains de 1500 jusqu'à 1800.
Les capitales esclavagistes étaient Tunis, Alger, Tripoli et Sale.
Alors que la traite occidentale était cyniquement mercantile, pour les Arabes, la traite des chrétiens participait d'un esprit de revanche lié aux croisades et à la reconquista espagnole.
Quand ils débarquaient, les pirates musulmans détruisaient systématiquement les lieux de culte chrétiens.
Dès l'arrivée en Afrique du Nord, on faisait défiler chrétiens et chrétiennes dans les rues pour les humilier en les couvrant d'immondices. On rasait les nouveaux esclaves pour les soumettre davantage, y compris sexuellement. On a peine à imaginer aujourd'hui ce que fut la vie de ces hommes qui, en majorité, passèrent le reste de leur existence sur les galères où ils étaient fouettés au moyen de pénis de bœufs (le fameux «nerf de bœuf»). Le professeur Davis indique que ces Infidèles, au contraire du Code Noir, ne bénéficiaient d'aucune protection contre l'arbitraire ou la cruauté de leur maitre. On a également peine à imaginer aujourd'hui l'impuissance des nations européennes, en raison de la faiblesse de leurs marines, et à l'inverse de l'habileté manœuvrière des corsaires, à empêcher les razzias. Ce n'est qu'à partir du XVIIIe siècle que les Italiens purent prévenir les raids terrestres dévastateurs. Avant cela, le sud de l'Italie et la Sicile, si proches des rivages tunisiens, vécurent littéralement dans la terreur. Quand les pirates débarquaient, la population fuyait vers l'intérieur des terres, ce qui n'empêchait pas les barbaresques d'aller les chercher.
Combien furent-ils ? Le professeur Davis insiste sur le fait que des recherches gigantesques ont été menées pour évaluer aussi finement que possible le nombre de Noirs enlevés, mais qu'à l'inverse peu d'efforts ont été accomplis pour évaluer l'ampleur de l'esclavage des chrétiens entrepris par les Arabes. Ces derniers, au demeurant, ne conservaient pas d'archives.
Selon sa méthode d'estimation, entre 1530 et 1780, environ 1 250 000 chrétiens européens blancs auraient été déportés.
Quand les Français s'emparèrent d'Alger en 1830, précisément pour lutter contre cette piraterie, il y avait encore 120 esclaves blancs retenus en captivité dans le bagne de la ville.
À nouveau: Pourquoi si peu d'intérêt, sans même évoquer de compassion pour l'esclavage en Méditerranée alors que la traite négrière n'a plus de secret pour personne, fait l'objet, à juste raison, de commémorations assorties de lieux de pèlerinage, comme à Gorée ?
Ainsi que l'explique le professeur Davis: «Des esclaves blancs avec des maîtres non blancs ne cadrent pas avec le récit maître de l'impérialisme européen. Les schémas de victimisation si chère aux intellectuels requièrent de la méchanceté blanche, pas des souffrances blanches.»
D'autre part, qui peut nier sérieusement qu'alors que la traite négrière dite transatlantique, organisée par les Européens, est connue universellement, au point de passer pour unique, et a fait l'objet d'innombrables documentaires écrits ou audiovisuels basés sur la réalité ou la fiction, un silence de plomb continue de peser sur la traite orientale des esclaves noirs ?
Pourtant la première est quantitativement moins importante que la seconde, a duré moins longtemps et s'est achevée moins récemment: 11 millions d'esclaves sont partis d'Afrique vers les Amériques ou les îles de l'Atlantique entre 1450 et 1860. En revanche, 17 millions d'Africains noirs ont été déportés par les négriers d'Orient de 650 jusqu'à 1920.
Citons le professeur Lugan: «Le XIXe siècle nous a laissé de nombreux témoignages se rapportant à ce commerce et aux razzias qui l'alimentaient. (…) En général les hommes étaient décapités et, les femmes et les enfants enlevés en esclavage à travers les pistes sahariennes.»
L'article «Esclavage, esclavage» publié par Éric Chaumont (Robert Laffont 2007), chargé de recherche au CNRS, spécialiste du droit musulman, rappelle que ce n'est que «sous pression extérieure que les derniers pays esclavagistes qui étaient musulmans ont aboli l'esclavagisme; de quasi droit, celui-ci existe encore dans certains pays sahariens et, de fait, dans la péninsule arabique».
L'ouvrage de Jacques Heers, directeur du département médiéval de la Sorbonne, «Les négriers en terre d'islam, la première traite des Noirs» (Perrin 2003) est tristement illustratif de la condition d'esclave noir en terre d'islam. Dans le chapitre «l'homme de couleur mal-aimé, le mépris», cet historien considérable écrit dans un chapitre intitulé «Les Noirs, heureux de leur sort?»: «Aucun noir, esclave en Égypte, au Maroc ou en Orient, n'a écrit le récit de sa vie ; si certains ont eu l'occasion de le faire, il n'en reste pas même un vague souvenir. Aucun, surtout, n'a eu le loisir d'en parler aux siens, à ceux de sa race, de retourner chez lui, libéré de ses liens et de cet opprobre social. De plus, et cela paraît une grave lacune pour la connaissance matérielle et sociale de l'esclavage, ces captifs arrachés d'Afrique noire pour être mis sur les marchés du Caire ou d'Arabie, n'ont certainement pas, comme les Noirs de la traite européenne Atlantique, bénéficié à une certaine époque d'un fort mouvement d'opinion pour éveiller et tenir en alerte les bonnes consciences par toute sortes de livres, pamphlets, manifestations et conférences. Silence total, silence complice ?» Et l'historien d'observer qu'il n'y a pas eu de «Case de l'oncle Tom» édifiée en terre d'islam.
Pour conclure, Jacques Heers déplore: «L'Histoire de l'Afrique est écrite sans que l'on veuille vraiment porter attention à cette traite, la première pourtant et la plus importante de toutes.»
La cabale organisée à l'encontre de l'historien Olivier Pétré-Grenouilleau, coupable lui aussi d'avoir rappelé la vérité historique, aura été instructive en ce qu'elle a montré que ce ne sont pas des personnalités Arabo-islamiques qui s'effarouchent le plus de la mise en perspective des traites esclavagistes, mais plutôt certains militants extrémistes antillais ou guyanais, davantage friands de culpabiliser l'occidental français.
À preuve, lorsqu'on demandait à Mme Christiane Taubira, jadis indépendantiste guyanaise, et mère de la loi mémorielle qui proscrit toute négation de la traite esclavagiste, pourquoi seule la transatlantique était visée, à l'exclusion des autres, celle-ci répondait ingénument qu'il convenait de ne pas désespérer les jeunes des cités…
C'est bien dans ce cadre «ressentimental» agressif et ciblé qu'il est permis d'interpréter psychologiquement le refus de la ministre de chanter à l'unisson l'hymne français vécu comme un «karaoké», dans les circonstances de la commémoration de l'abolition de l'esclavage.
Pour terminer, retour sur Thierry Mariani et son sévère contempteur de SOS-Racisme. À aucun moment, dans son article, ce dernier, en dépit de son souci claironné pour le sort des victimes, ne fait la moindre allusion à la traite négrière arabique. Et je n'ose évoquer la traite barbaresque des chrétiens blancs.
Mais il y a bien plus grave, et qui ne concerne pas seulement M. Sopo et ses amis à la sélective mémoire. Il ne s'agit plus d'Histoire douloureuse. Il s'agit de souffrances au présent. Ce qui compte, c'est de pouvoir maintenir l'occidental, et lui seul, tête basse, vide des mémoires de ses propres souffrances, en position de génuflexion. Qui ose évoquer le fait que l'esclavage n'a toujours pas disparu en terre d'Orient ?
Je ne parle pas seulement d'esclavage moderne à l'égard des Philippins, des Indiens ou des Pakistanais que les émirats richissimes pratiquent aussi allègrement qu'impunément.
Je parle de l'esclavage de toujours. De celui que l'on trouve encore, par exemple, dans un pays comme la Mauritanie.
Je renvoie les esprits forts à la lecture édifiante de l'article de Christophe Chatelot (Le Monde du 25 mai 2012) et dans lequel sont évoqués les déboires de M. Ould Abeid, coupable d'avoir pris la tête d'un mouvement appelé «initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste» pour lutter contre la survivance de pratiques esclavagistes dont certains maures blancs se rendent coupables à l'égard de Noirs de Mauritanie.
Il est des silences éloquents. Ce silence là devrait être entendu. Il montre cruellement que pour les pseudos antiracistes de nos contrées idéologiques, le sort des victimes noires leur est complètement indifférent.
Ce qui compte, c'est de pouvoir maintenir l'occidental, et lui seul, tête basse, vide des mémoires de ses propres souffrances, en position de génuflexion.
C'est dans ce sens qu'il fallait lire la lecture d'un twitte.
(1) le lecteur pourra, pour davantage de précisions sur le sujet, se reporter à mes «Réflexions sur la question blanche» (Jean-Claude Gawsewitch éditions 2011).