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Publié le 05/01/2015
Goldnadel: Pourquoi de plus en plus de juifs quittent la France
FIGAROVOX/CHRONIQUE- Gilles-William Goldnadel analyse un phénomène en pleine expansion: l'émigration des juifs de France. Il y voit la conséquence de la crise identitaire qui traverse notre pays.
Gilles-William Goldnadel est avocat et écrivain. Il est secrétaire national à l'UMP chargé des médias. Il préside par ailleurs l'Association France-Israël. Toutes les semaines, il décrypte l'actualité pour FigaroVox.
Le 1er janvier, la communauté franco-israélienne de la ville côtière de Natanya m'a fait l'honneur de m'inviter à prononcer une conférence. J'étais censé disserter sur l'interminable conflit israélo-palestinien, mais mon auditoire était bien plus intéressé à m'entendre décrire la situation française. Surtout, les derniers chiffres de l'Alya des juifs de France venaient d'être rendus publics: 7000 nouveaux immigrants pour l'année 2014. Davantage encore que durant l'année précédente qui était déjà une année record. Les années moyennes, le chiffre dépassant à peine les 2000. Plus de doute, les juifs quittent la France. Pas seulement pour Israël (si l'on compte les États-Unis et le Canada, ils auront été 10 000 à émigrer), non de manière massive, mais désormais régulière et significative.
À l'issue de mon intervention, et comme de rigueur dans les conclaves mosaïques, des intervenants nombreux posent de fausses questions qui sont en réalité de vraies allocutions. L'assemblée est nombreuse et hétéroclite, des jeunes et des vieux, des hommes et des femmes, des anciens immigrants bien intégrés dans cette cité populaire, francophone et séfarade et de nouveaux arrivants fraîchement débarqués. Un industriel d'une quarantaine d'années se lève pour intervenir. Il est Israélien depuis 2 ans. Il résume bien le sentiment général. Il est sioniste, mais ce n'est pas pour cela qu'il est aujourd'hui Israélien. Il craint pour la sécurité des juifs de France, mais ce n'est pas seulement pour cela qu'il a quitté avec sa famille un pays qu'il aime. D'ailleurs, et comme on l'a vu récemment, tous les Français sont en danger.
Je m'autorise à l'interrompre pour lui faire poliment remarquer qu'Israël ne saurait non plus être considéré comme un havre très sécure, en lui rappelant les chauds mois d'été, passés sous les missiles venus de Gaza. Il m'en donne volontiers acte mais poursuit. C'est surtout une question de dignité, dit-il. Et j'ai mal pour la France et pour tous les Français. Il faudrait faire quelque chose pour sauver la France suicidaire, conclut-il non sans candeur grandiloquente. D'autres intervenants blâment une idéologie socialiste qui a magnifié le danger d'extrême droite pour sous-estimer un antisémitisme islamo-gauchiste plus dérangeant. Ils savent en le disant qu'ils ne vont pas trop me fâcher… Le malaise des juifs de France ne saurait en effet se résumer à une peur sécuritaire dramatiquement justifiée, amplifiée par les tragiques souvenirs qui leur font craindre une réaction tardive. Au-delà d'un antisémitisme mutant qui n'a plus rien de nouveau, les juifs se considèrent désormais comme les premiers inscrits sur la liste des victimes françaises du racisme antifrançais.
L'émigration des juifs de France correspond, dans sa forme aiguë, davantage à une crise identitaire qui frappe de nombreux Français qui voient leurs racines arrachées mais dont certains peuvent, eux, trouver une réponse positive au sein d'une nouvelle patrie, juive certes, mais qui ne mettra en question ni leur francité, ni leur attachement à la démocratie. Les juifs qui quittent la France ne le font pas dans l'allégresse, ni dans le désarroi. Ils le font dans la résignation. Ils ne voient pas, au regard de la politique actuelle menée par les gouvernants, ou dans le regard de certains médias dont ils connaissent l'aveuglement, ce qui pourrait inverser la courbe du renoncement français.
On aimerait pouvoir contester leur pessimisme. On sait que celui-ci n'a pas très bonne presse au sein d'une idéologie qui décrète l'obligation d'avoir peur du noir mais l'interdiction de craindre le vert et le rouge. Hélas, les faits sont cruels pour les tenants du tout va bien madame l'immigration, du prêchi-prêcha du vivre ensemble, du nous inclusif et solidaire ou de l'en commun. Prenons donc la lutte contre la judéophobie. À quoi rime, au-delà de l'incantation rituelle, de proclamer le combat contre l'antisémitisme «grande cause nationale» si les bonnes paroles sont suivies de mauvaises actions ? Non que le pouvoir soit hostile aux juifs, il est seulement aux abois.
Il suffit d'examiner les dernières initiatives du pouvoir socialiste pour se persuader que dans son désarroi politique, électoral et intellectuel, celui-ci vient de se résoudre à infléchir à nouveau son discours et ses actes pour tenter de complaire aux banlieues, selon les recommandations de Terra Nova ou de quelques intellectuels d'extrême gauche qui avaient préconisé, on s'en souvient, de prendre désormais en considération «la dimension arabo-musulmane de la France».
Trop de signes concomitants, sinon inexplicables, en témoignent:
- Une politique de déni, comme je l'évoquais dans ma dernière chronique, et qui tend à relativiser, minorer ou dénaturer les dernières menées islamistes en France. On comparera avec la manière franche et crue dont le locataire de Matignon abordait le sujet lorsqu'il résidait encore place Beauvau.
- Un discours présidentiel au musée de l'immigration, dont le retard à l'inaugurer en dit long sur le sujet, et considérant désormais celle-ci comme «une chance pour la France», sans préciser s'il s'agissait d'une dernière petite blague, lui qui pendant sa campagne n'était pas loin de considérer qu'il y avait trop d'étrangers en France et s'était engagé à lutter âprement contre l'immigration clandestine.
- Des déclarations politiques synchrones et menées de concert avec une association prétendument antiraciste satellite, destinées à ranimer la question qui fâche et rallumer le torchon qui brûle, en allumant un bûcher sous les pieds d'un polémiste n'ayant pas assez de considération extatique pour l'immigration et trop de succès médiatique.
- Enfin, des initiatives sur le terrain du conflit israélo-palestinien, inexplicables autrement que par l'idéologie et les arrière-pensées communautaristes: un vote par les deux assemblées en faveur d'un État de Palestine, sans imposer aucune obligation de compromis à la partie arabe. Plus édifiante encore, l'approbation par la France - aux côtés de la Chine et la Russie - de la résolution palestinienne présentée au Conseil de Sécurité de l'ONU décrétant la création d'un État de Palestine dans les soi-disant frontières de 1967 avec Jérusalem-Est pour capitale, en cas d'échec des pourparlers israélo-palestiniens limités à un an.
Je ferai grâce à mon lecteur de lui décrire pour quelles raisons multiples le droit international, les accords d'Oslo, la sécurité d'Israël auraient été bafoués si, d'aventure, cette résolution n'avait pas été rejetée grâce à l'Australie, aux États-Unis et à l'abstention britannique ou de pays comme le Nigéria majoritairement musulman et le Rwanda qui savent le prix de l'islamisme et du génocide... Mais, au seul regard de mon propos visant à démontrer que les actuels gouvernants français sont prêts à sacrifier leurs principes et l'intérêt de leur pays sur l'autel de leur idéologie suicidaire et de leurs petits calculs politiques, ce vote, qui constitue également un camouflet diplomatique, est emblématique: la France avait déclaré urbi et orbi qu'elle ne voterait pas la résolution palestinienne, trop extrémiste et ne prenant en compte les préoccupations israéliennes, et qu'elle proposerait son propre texte: elle n'a pas honoré ses propres engagements. L'explication du revirement français par de sordides préoccupations communautaristes s'impose d'autant plus qu'en la circonstance il n'existait aucune pression diplomatique des états arabes qui ont actuellement des préoccupations plus existentielles à l'esprit.
Si, par hypothèse absurde, la résolution palestinienne avait été acceptée et un jour suivie d'effet concernant Jérusalem-Est, cela signifie que non seulement le Mur des lamentations, mais encore le Saint-Sépulcre seraient retournés entre des mains dont on sait la douceur pour les cultes juifs et chrétiens. De la part d'un pays qui s'est traditionnellement voulu le défenseur des chrétiens d'Orient, la mesure du renoncement et de l'abandon est abyssale. On est libre de quitter la France lorsqu'elle vous abandonne. Mais il n'est peut-être pas encore trop tard pour s'attacher à lutter contre cet abandon d'elle-même.
Ce devrait être même la première cause nationale.