La Revue-Medias
N°32 – Printemps 2012
Ligne de front
Gilles-William Goldnadel : « Je suis un extrémiste de la modération » par Emmanuelle Duverger et Robert Ménard
Président d’Avocats sans frontières, membre du Comité directeur du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), Gilles-William Goldnadel voit, dans le traitement médiatique d’Israël, l’expression d’un antioccidentalisme dominant.
Selon vous, « le procès permanent fait à Israël relève de l’escroquerie intellectuelle ». N’est-ce pas un peu exagéré ?
Non. Cela correspond exactement à la définition du bonneteau : d’une part, on raconte des histoires à l’encontre d’Israël, et, d’autre part, on dissimule des crimes infiniment plus graves commis par les ennemis d’Israël.
Par exemple ? Le rapport Goldstone1. Il affirmait qu’Israël avait commis des crimes inqualifiables à Gaza, lesquels devaient entraîner des sanctions internationales. Lorsque les médias ont rendu compte de ce rapport, ils ont mis en avant le fait que son auteur était un Juif. Et, bien sûr, l’ensemble de la presse internationale est tombé à bras raccourcis sur Israël. Quelques mois plus tard, dans une interview du 1er avril 2011 au New York Times, le juge Goldstone lui-même, avouait : « Si j’avais su ce que je sais maintenant, jamais je n’aurais déposé un tel rapport. Parce que Israël ne faisait que de se défendre dans le cadre des attaques du Hamas à coups de roquettes sur le territoire israélien. D’autre part, le Hamas, lui, a vraiment commis des crimes de guerre, en envoyant des roquettes sur la population et en utilisant son propre peuple comme bouclier civil. » Je n’avais cessé de le dire depuis des mois. Mais qui, en France, a véritablement mis en exergue ces déclarations qui invalidaient le premier rapport Goldstone ? Remarquez, ce n’est pas la première fois : on donne toujours plus de publicité au procès qu’au non-lieu…
C’est ce « deux poids, deux mesures » qui vous choque ?
Pendant une décennie, on a dissimulé à l’opinion publique internationale en général, et à l’opinion publique française en particulier, les crimes infiniment plus graves, sans excuses, qui ont été commis dans les pays arabes. Que ce soit contre les populations arabes elles-mêmes par leurs dictateurs — dont on s’aperçoit aujourd’hui qu’ils sont sanguinaires, mais avec lesquels on a commercé sans problème et que la presse française épargnait — ou à l’encontre de leurs m i n o r i t é s r e l i g i e u s e s o u sexuelles. Trouvez-vous, d’autre part, que la presse française insiste lourdement sur le génocide des Noirs au Soudan ou sur le sort des néo-esclaves dans les Émirats ?
Vous voulez dire que la presse est « vendue aux Arabes » ? Pourquoi les journalistes fonctionneraient-ils ainsi ? Ils seraient méchants et malhonnêtes ?
J’espérais presque que vous diriez « antisémites ». Parce que je suis fasciné par le fait que, lorsque je critique les contempteurs excessifs d’Israël, on me répond immédiatement que je vois de l’antisémitisme partout, quand bien même je n’ai pas prononcé le mot et qu’il ne m’est même pas venu à l’esprit. Dans l’argumentation anti-israélienne, l’un des refrains habituels est que les pro-israéliens utiliseraient l’antisémitisme pour empêcher la critique légitime d’Israël. Rien n’est plus stupide. Dans tous mes livres, je tente d’expliquer le parti pris antioccidental en général, et anti-israélien en particulier, par une idéologie de détestation du monde occidental.
La haine d’Israël s’inscrirait dans le prolongement de notre propre détestation ?
C’est même pire que ça. Je n’ai jamais cessé de mettre en avant cet antioccidentalisme pathologique, que j’ai expliqué par le contrecoup de la Shoah, laquelle a entraîné au sein du monde occidental une autodétestation. L’ironie de cette histoire, c’est que ça se retourne contre Israël. Lorsqu’on déteste l’Occident d’une manière pathologique, on abhorre encore plus l’État occidentalissime d’Israël. C’est mon explication première. Viennent ensuite les raisons périphériques : l’esprit iconoclaste, le suivisme, la bêtise, l’ignorance et, pourquoi pas aussi, l’antisémitisme. Je ne défends pas toujours les discours du Crif, mais il peut arriver, tout de même, que l’on soit à la fois dans la détestation d’Israël et dans la détestation des Juifs. Je pense, par exemple, à Dieudonné.
Le Crif voit de l’antisémitisme partout !
Vous exagérez, il s’agit d’une communauté traumatisée. « Les dieux rendent fous les hommes qu’ils veulent perdre. » De temps en temps, notamment dans la vieille génération, le traumatisme est encore fort. Et puis, je ne nie pas la part d’instrumentalisation, quelquefois par des Juifs, quelquefois par des politiciens… Le Parti socialiste aura passé une bonne partie de son temps à instrumentaliser la communauté juive avec l’épouvantail Le Pen. Mais lorsque l’antisémitisme est passé de l’extrême droite à l’extrême gauche, les prétendus amis fidèles des Juifs ont soigneusement tourné la tête… Je dénonce cette instrumentalisation depuis trente ans.
29/03/12
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