QUAI DES BRUMES ET DES LUEURS
Sans vouloir crier haro sur l'excellent homme qui occupe désormais le fauteuil de Gabriel Hanotaux et d’ Aristide Briand, je lis, sous sa plume, dans la dernière livraison du « Point » :
« Dans quelques semaines, les 400 000 déplacés du Tchad n'auront plus à redouter les incursions, les meurtres et les viols des Janjawids traversant la frontière ».
N'est-ce pas s'être beaucoup, beaucoup, avancé, quand on voit la déconfiture d'un régime tchadien qui avait au moins la vertu de résister aux voisins islamistes ?
Le minimum syndical, en matière de solidarité affichée avec ce régime comme en matière de crédibilité internationale ne semble guère avoir été effectué.
Toujours sous la plume de Bernard Kouchner : « Reste bien sûr à trouver une solution politique durable à ce conflit (du Darfour). Celle-ci ne sera possible que si nous parvenons à convaincre le principal chef rebelle, Abdel Wahid Al Nour, de négocier avec le régime de Khartoum. Bien que réfugié en France, il est jusqu'ici resté sourd à nos demandes, aux pressions de ses alliés les plus proches ».
En matière de pressions, je ne suis pas le plus mal placé, avec Avocats Sans Frontières qui le soutient, pour vous dire que la France menace discrètement ce héros authentique de ne pas renouveler sa carte de séjour au cas ou celui-ci ne se ferait pas plus docile.
Quand on connaît le caractère de l'homme, quand on sait d'autre part qui la France abrite avec davantage d'hospitalité, cela ne paraît ni très malin, ni très digne.
Lu « Un Siècle De Trahison » du grand historien anglais David Pryce-Jones que vient de publier Denoël. L'ouvrage, magistral, est consacré aux relations entre la diplomatie française et les Juifs de 1894 à 2007.
Bien entendu, c'est passionnant.
Ainsi, quand on lit que le 6 décembre 1938, le ministre français des affaires étrangères, Georges Bonnet, reçoit au Quai d'Orsay son homologue nazi, Joachim von Ribbentrop.
Un grand dîner est donc organisé chez Georges Bonnet en liaison avec l'ambassade d'Allemagne qui demande à ce que les noms des ministres français d'ascendance juive, en l'occurence Georges Mandel et Jean Zay, soient rayés de la liste des invités.
Le seul ministre qui refusera de se rendre à ce dîner, sauvant l'honneur du gouvernement devant l'avilissement diplomatique, sera le Ministre de la Marine, et ténor du barreau, César Campinchi.
J'écris cela, en pensant à mon cher vieux Versini-Campinchi, son digne petit-neveu, comme lui, intransigeant à la Barre et sous la robe.
Je pense aussi à cette récente petite lâcheté qui a fait que lors du dernier voyage présidentiel en Arabie Saoudite, un journaliste juif soit demeuré, sans bruit, sur le tarmac.
Parmi les innombrables portraits, témoins d'une époque, celle de Gaston Bernard, consul de France en Italie à la fin des années 30. Avec une ironie distinguée il décrit à sa hiérarchie les réfugiés juifs fuyants l'Allemagne nazie : « La sollicitude a été poussée jusqu'à assurer aux émigrants les services du culte talmudique et l'emploi exclusif de la cuisine kasher : il convient d'ajouter que celle-ci communique à ses navires une odeur sui generis qu'apprécierait, sans doute à un degré mineur, une clientèle de composition normale ».
Je recommanderais donc à tous cette édifiante lecture.
Est-il cependant naïf de penser que ce livre n'a plus que des vertus d'édification historique ?
Quand, comme moi, on fréquente, de temps à autre, le Quai d'aujourd'hui, ou l'ambassade de France à Tel-Aviv, on serait tenté de l'espérer.
Bien entendu, Orsay n'épouse pas les thèses de Jérusalem, et nul au demeurant ne le lui demande. Il n'empêche que c'est à Paris, aujourd'hui, et nulle part ailleurs en Europe que l'on tient le mieux tête au régime nazislamiste de Téhéran. Ce n'est évidemment pas assez, mais c'est mieux qu'à Rome, à Berlin et, d'évidence, qu'à Moscou.
Bref, les temps changent. Le cynisme méchant et maniéré des Roger Peyrefitte n'a plus autant cours.
Jusqu’à Denoël, hier antisémite et aujourd'hui excellente maison...