Paru dans FIGAROVOX LE 15/09/15
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Goldnadel: Accueil de l'Autre, mépris des siens
FIGAROVOX/CHRONIQUE - Gilles-William Goldnadel estime, au sujet de la crise des migrants, que l'émotion remplace trop souvent la réflexion. Le lointain est préféré au prochain.
Gilles-William Goldnadel est avocat et écrivain. Il est président de l'association France-Israël. Il tient une chronique hebdomadaire sur FigaroVox.
Europe, fin de partie ? Il est revenu le temps du chantage à l'émotion. Les poètes politiques ont ressorti leur lyre médiatique et leur pathos démagogique. Contre cela, le discours politique en prose ingrate sera toujours moins esthétique que celui des souffleurs de vers.
Et tant pis, si ceux-ci ont toujours été les plus grands fossoyeurs des cimetières sous la lune.
Ainsi de Bertrand Russel, grand mathématicien mais crétin politique patenté. Sa pensée politique, exprimée noblement en 1937 en dit long sur les périls qui guident la malheureuse société des hommes lorsqu'elle est guidée par des jobards narcissiques: «la Grande-Bretagne devrait désarmer, et si les soldats de l'Hitler nous envahissaient, nous devrions les accueillir amicalement, comme des touristes ; ils perdraient ainsi leur raideur et pourraient trouver séduisant notre mode de vie (…) Si le gouvernement britannique s'arrêtait d'armer et devenait pacifiste, notre pays ne serait pas envahi et serait aussi en sécurité que le Danemark.» (Cité par l'International Herald Tribune, 2 avril 1987, «Fifty years ago»)
Les politiciens anglais, en dépit des avertissements de Churchill, largement moqué par la presse conformiste, refusèrent d'accélérer les programmes d'armement. Le Danemark fut envahi trois ans plus tard. On connaît la suite. On a tellement oublié les sottises criminelles de Bertrand Russel que d'autres poètes démagogues, comme Stéphane Hessel, ont contribué à un système de justice parallèle portant son nom.
Les esprits du temps qui ont osé s'opposer, comme Churchill, aux discours démagogiques à la Russel étaient handicapés. Dans le temps de l'émotion, la rime l'emportera toujours sur la prose. Celui qui se réclame lyriquement de la générosité tétanise celui qui voudrait lui opposer la froide raison.
C'est exactement le moment dans lequel nous sommes concernant les migrants. Un moment où le pieux mensonge sera toujours mieux accueilli que l'ingrate vérité.
Ainsi, des informations concordantes établissent (Le Figaro du 12 septembre) que des salafistes allemands recrutent déjà parmi les migrants: «Les salafistes essaient d'aborder les jeunes réfugiés non accompagnés qui arrivent dans notre pays sans leur famille et qui sont particulièrement en quête de liens et de soutien» a indiqué un porte-parole des services de renseignements de Bavière. L'information a été confirmée par les services de renseignements allemands dans d'autres régions de l'Allemagne, la démarche est encouragée par la vidéo d'un prédicateur islamiste. Selon une étude de la fondation Konrad Adenauer publiée cette semaine, 7000 séviraient en Allemagne et 700 de ceux-ci se seraient déjà rendus en Syrie pour y combattre aux côtés de l'État Islamique. Cette information n'a strictement rien de surprenant, puisque l'Etat islamique a officiellement indiqué dès sa création qu'il utiliserait la migration pour fomenter des attentats et déstructurer l'Europe. Cette information a-t-elle reçu la publicité qu'elle méritait ?
Je suis totalement convaincu que la reprenant à mon compte dans cet article en prose, les poètes démagogues qui me lisent n'en tireront aucune conclusion pour réfléchir à ce principe de précaution qu'habituellement ils vénèrent, mais en déduirons seulement que je pratique cyniquement l'art du catastrophisme.
Il y a dix ans seulement, celui qui comme moi, osait indiquer que l'immigration massive et incontrôlée, loin d'être une bénédiction, était facteur d'insécurité, de troubles d'identité, et même de terrorisme, était voué aux gémonies. Aujourd'hui que de nombreux Français partent vers le djihad en Syrie et en Irak et que d'autres ont semé la désolation sur le sol français, que le candidat Hollande lors de sa campagne n'a pas nié que l'immigration étrangère était trop nombreuse, ce discours relève de l'affligeante banalité.
Mais à présent que le choc de la réalité venait de faire gagner ce combat des idées, voici qu'une nouvelle vague déferlante venue d'une plage turque emporte la raison sur le roc de l'émotion.
Dès lors rien ne l'arrête. On connaît la recette. J'ai passé une bonne partie de ma vie intellectuelle à expliquer que l'ingrédient principal de la névrose collective européenne était le traumatisme de la Shoah. L'Allemagne, évidemment n'en a pas guéri, et à côté de considérations économiques prosaïques, l'idée de pouvoir dire non à l'étranger, quelles qu'en soient les raisons, lui est proprement insupportable. Encore davantage en invoquant une sulfureuse protection de l'identité. Dans un entretien récent dans Le Figaro, j'osais la formule qu'en Europe le dangereux fantasme politique était passé «du tout aryen au rien du tout». Autrement dit, du sang pur absolu et sacré au métissage obligatoire et salvateur. L'Allemagne post-shoatique montre le chemin. Et nul, parmi ceux qui lui reprochaient il y a encore un mois son hégémonisme «boche» ou du moins bismarckien, ne s'aventurerait à présent à peindre sa leader avec une moustache dès lors qu'il s'agit d'affaiblir le concept honni d'État-nation occidental.
Rien n'arrête la recette, pas même la décence. La photo sur la plage autorise à nouveau toutes les outrances. Il est quelques semaines, au micro de France Inter, Robert Badinter, la grande conscience de la gauche, pouvait encore dire dans un silence gêné mais obséquieux, qu'on ne pouvait pas accueillir tous les migrants. La chose est devenue actuellement impossible, a fortiori pour ceux dont les parents ont connu les malheurs de la Shoah. On leur ressort immédiatement une autre photo: celle d'un enfant à casquette levant les mains. Claude Bartolone, sur France bleue s'est permis un très intelligent: «après l'étoile jaune, le croissant vert?» Et sur Canal+, ce dimanche, un animateur a demandé à David Rachline, en lui rappelant ses origines, si le Front national aurait accueilli ses grands-parents… Le petit enfant à casquette est de retour.
Et puisque il me faut m'attendre moi aussi à devoir répondre à cette question personnelle, puisqu'ainsi certains juifs, hier taxés d'internationalisme excessif, le sont aujourd'hui de nationalisme égoïste et oublieux, je dirais, au risque encore d'irriter, qu'effectivement le sort de certains réfugiés mérite d'être associé au souvenir du passé et par conséquent imposer un devoir particulier.
Je pense aux yazidis et aux chrétiens persécutés en tant que tels. Ceux-là, assurément, méritent le statut de l'asile politique absolu au rebours des autres réfugiés de guerre et évidemment des migrants économiques. S'il y a discrimination, celle-ci est positive.
Ainsi, la distinction opérée par Nicolas Sarkozy dans son interview au Figaro du 10 septembre est-elle pertinente moralement comme juridiquement. Là où le bât blesse, et l'ancien président de la République le sait, c'est qu'il s'agit moins de lois que d'application de la loi. Et que celle des frontières est battue en brèche en Europe, comme l'Allemagne semble curieusement venir de s'en apercevoir.
Là où encore la droite aura gravement failli, habite dans son incompréhension totale du rôle des médias dans la situation actuelle. Obsédé par la prise de pouvoir politique, elle aura toujours négligé le combat culturel. La sociologie politique particulière des journalistes explique beaucoup, mais n'explique pas tout. Les médias audiovisuels fonctionnent, c'est un truisme, à l'image et au son. Le pathos y est donc roi et la réflexion soumise d'avance.
Dans ce contexte, il n'est pas la peine ici d'avoir longuement à établir comment les médias de service public, particulièrement asservis, ont épousé par réflexe pavlovien la cause migratoire effrénée.
Par un paradoxe saisissant, les médias bien-pensants n'ont aucun complexe à montrer un esprit critique particulier en ce qui concerne l'audiovisuel privé alors que nul-pas même l'opposition politique-ne songe à questionner les dysfonctionnements d'un audiovisuel public qui est la chose de tous, à commencer par celle des contribuables. Rien sur les manquements criant au pluralisme, rien sur la gabegie financière, rien sur le fichage des employés.
Dans le même temps, une vigilance policière et décomplexée s'affaire à soupçonner les journalistes non conformes de l'audiovisuel privé. Un article du Monde daté du 4 septembre en donne un exemple ahurissant.
Pour quelles raisons le nouveau responsable de iTélé, Guillaume Zeller, aurait-il «un profil qui intrigue» ? Lisez bien sans tousser: Parce qu'il serait «un spécialiste du catholicisme et de certaines thèses chères à la droite». Mais quelles sont donc ces thèses affinitaires ? La publication d'un livre intitulé Oran, 5 juillet 62 (Taillandier) sur «l'immense chasse à l'homme antieuropéenne commise le 5 juillet à Oran, journée la plus sanglante de la guerre d'Algérie, avec un minimum de 700 pied-noir assassinés». Circonstance aggravante, ce jeune catholique a commis un ouvrage sur les religieux déportés ou encore sur «un prêtre à la guerre» (Taillandier) avec l'aumônier des parachutistes de Montauban, dont certains membres furent tués par Mohamed Merah».
On ne pourrait mieux dire la messe de la nouvelle religion de l'Autre: s'émouvoir du massacre d'Européens ou de prêtres catholiques est œuvre impie et blasphématoire.
En revanche, l'Autre a le droit de penser d'abord à lui: dans un article compréhensif daté du 10 septembre, intitulé «Les Etats du Golfe refusent d'ouvrir leurs frontières» et sous-titré: «les riches pétromonarchies restent sourdes aux appels à accueillir des réfugiés, de peur d'être déstabilisés» le même Monde cite sans commentaires Mme Nassima Al-Saadeh, «militante saoudienne des droits de l'homme»: «La responsabilité première de nos responsables, c'est de protéger leurs peuples».
L'Autre, même humaniste, a droit de faire de la prose.